Chapitre 5 : L’usine à représentations

Nous avons dans les chapitres précédents proposé des éléments de réponse à la question "Que sommes-nous ?". Nous avons présenté un modèle dit 4 quadrants - inspiré du philosophe Ken Wilber - qui décrit toute la complexité de ce que nous sommes, ce qui nous constitue et ce qui nous a construit, tant du point de vue de l'individu que de son interaction culturelle et sociale avec son environnement. 


Nous avons également mis en évidence que nous sommes en lien avec le réel objectif, aussi bien le monde qui nous entoure que nous-même, à travers les représentations subjectives que nous nous en faisons. 


Ces représentations coïncident plus ou moins fidèlement avec la réalité qu’elles décrivent. Plus le décalage entre représentations et réalité est grand, plus nous nous exposons à de douloureuses confrontations au réel lorsque nous le rencontrons là où nos illusions nous le maquillent, voire l’occultent complètement. Il y a donc un enjeu majeur à veiller à ce que nos représentations du monde, des choses et de nous-mêmes correspondent au mieux à la réalité de ce que sont le monde, les choses et nous-même. Autrement dit, il nous appartient de veiller à porter une attention la plus juste possible aux choses, au monde et à nous-même. 


Pour y parvenir, nous devons d'abord identifier nos illusions, et pour ce faire, mieux comprendre comment sont produites nos représentations


Les neurosciences nous éclairent. A l'instar d'Anil  Seth qui, dans sa conférence TED d'avril 2017, nous a expliqué comment "notre cerveau hallucine notre réalité consciente", nous savons que nous construisons nos représentations à la fois à partir de nos stimuli sensoriels, mais aussi en fonction des informations que nous avons déjà emmagasinées. 


Au-delà de l'aspect purement biologique et neurologique que les scientifiques étudient chaque jour dans leurs laboratoires de recherche, essayons d'identifier et de détailler ce qui participe à ce processus. Pour ce faire, je vous propose une démarche pragmatique (ingénieur Arts & Métiers oblige !) qui part du monde et de la façon dont il nous impacte pour arriver à la façon dont nous impactons le monde. 

Du monde réel au monde des représentations



Quel impact le monde a-t-il sur moi ?


L'univers, le monde, le réel objectif sera, dans les différents schémas qui vous seront présentés, illustré ainsi :

Comment sommes-nous en contact avec le monde ? Qu'est ce qui fait l'interface entre nous et le monde ? Quels sont les points de contacts ? Nos sens ! La vue, l'odorat, l'ouïe, le goût, le toucher, les 5 sens que tout le monde connaît, auquel j'ajoute dans le schéma ci-dessous un 6ème qui englobe tous les autres, connus et inconnus - proprioception (perception de la position des différentes parties du corps), nociception (perception de la douleur), thermoception (perception de la chaleur), équilibrioception (sens de l'équilibre), perceptions d'ordre énergétique ... 


Par exemple, je suis en contact visuel avec le cahier bleu posé devant moi grâce à ma vue, par l'intermédiaire de mes yeux qui sont sensibles aux rayons lumineux qui proviennent du cahier. 

Notre système nerveux transmet au cerveau les stimuli sensoriels. J'ai ici illustré le cerveau avec les intestins que l'on qualifie de deuxième cerveau. Ce n'est qu'une illustration. N'oubliez pas que la carte n'est pas le territoire. 


Ainsi, les rayons lumineux qui proviennent du cahier bleu stimulent dans ma rétine les cônes qui sont sensibles aux longueurs d'ondes correspondant au bleu et produisent un signal électro-chimique transmis pas mes nerfs optiques à mon cerveau. 

C'est au sein de notre cerveau que sont traités les stimuli et produites les représentations selon un processus de création que j'illustre ci-dessous avec cette boîte que j'appelle PCR (Processus de Création des Représentations). 

De ce processus PCR sont produits les images, les perceptions, les conceptions, les abstractions ... en un mot les représentations qui constituent notre réalité subjective de ce que nous percevons de notre environnement - objets, personnes, phénomènes - et de nous-même. 


A la vue du cahier posé devant moi, je me le représente avec sa forme, sa couleur, les différents éléments qui le constituent (couverture, feuilles, spirales), et je peux aussi le nommer et le qualifier (cahier à spirale bleu de 300 pages). 

Je peux aussi, les yeux fermés, me représenter le cahier. Je peux l'imaginer, le visualiser sans le voir.  Ainsi, nous produisons des représentations non seulement à partir de ce que nous percevons mais aussi à partir de ce que nous imaginons. Nous avons cette capacité d'abstraction qui nous permet de générer des représentations hors-sol, sans lien avec l'environnement, avec ce qui est vécu et perçu dans l'instant présent. 

On peut se faire des films totalement fictifs sans lien avec la réalité. Non seulement on peut, mais c'est en fait la façon dont notre cerveau fonctionne la plupart du temps. La grande majorité de nos pensées portent sur le passé, le futur, les autres, ailleurs. Toutes ces pensées produisent des représentations qui ne sont pas provoquées par nos sens. Elles sont donc déconnectées du réel. Cela ne veut pas dire qu'elles ne parlent pas du réel et qu'elles ne le représentent pas fidèlement. Cela veut juste dire qu'elle sont produites à l'intérieur de notre système de représentation sans lien sensoriel avec l'extérieur. 



Ainsi, à la question "comment le monde nous impacte-t-il ?", nous sommes en mesure de proposer la réponse suivante :


L'impact que le monde a sur nous sont les représentations que nous produisons à son contact.


Au contact du monde à travers nos sens, nous produisons des représentations. Au contact sensible avec le réel objectif, nous créons notre réalité subjective. Tel est l'impact majeur que le monde a sur nous !


Majeur mais pas unique, car il nous impacte parfois en provoquant des réactions sans passer par le PCR. C'est le cas lorsque les stimuli sensoriels activent des réactions réflexes comme, par exemple, de peurs conditionnées. C'est ce que les travaux du professeur Joseph Ledoux de l'Université de New York ont mis en évidence en montrant que nos peurs conditionnées provoquaient des réactions à partir de l'amygdale sans passer par les zones cérébrales de traitement de stimuli sensoriels.

Le processus de création des représentations


Comment sont produites nos représentations ? 


D'un point de vue purement neurobiologique, nous l'avons vu en introduction de ce chapitre, les réponses sont à l'étude dans les laboratoires de recherche des scientifiques, et nous n'allons pas détailler ici le fonctionnement "mécanique" de ce processus.


En revanche, et c'est ce qui nous intéresse tout particulièrement dans ce livre, penchons-nous sur les éléments de réalité qui participent à ce processus. Autrement dit, sur ce qui, au-delà des stimuli sensoriels, intervient, contribue, influence la façon dont nous produisons nos représentations. 


On pourrait ici facilement faire une quasi-lapalissade, à savoir "ce qui contribue à notre façon de faire, c'est ce que nous sommes". En effet, ce qui intervient dans notre façon de nous représenter les choses, c'est nous-même, ce qui nous constitue, ce qui nous a construit et ce que nous portons, à savoir nos souvenirs, nos conditionnements, nos héritages, nos blessures, nos peurs, et bien sûr notre biologie. 

Passons-les en revue un par un. 


Les souvenirs : 

Tout ce que nous emmagasinons à travers nos expériences alimente la base de données de nos souvenirs. Les traces mémorielles de notre vécu participent à la façon dont nous nous représentons les choses. Un exemple vous a été donné dans le chapitre 4 (voir § décryptage visuel et sonore page XX). Nous décryptons les images ambiguës en fonction des images que nous avons déjà vues. Nous interprétons ce que nous percevons et construisons nos représentations en fonction de ce dont nous disposons comme modèles stockés dans notre mémoire. 


   


Que voyez-vous ? Si vous avez lu le chapitre 4, vous savez qu'il s'agit d'un serpent. Mais peut-être est-ce difficile pour vous de le distinguer maintenant. Rendez-vous page XX pour voir l'image détaillée et revenez ici. Les formes vous apparaissent probablement de façon plus précise là où elles étaient indiscernables précédemment. 


Ce que nous avons emmagasiné dans notre mémoire contribue à la façon dont nous produisons nos représentations.


Les conditionnements : 

Nos conditionnements participent à la création de nos représentations. Que ce soit la langue que l'on parle, l'éducation que l'on a reçue, la famille dans laquelle on a grandi, le ou les pays dans lesquels ont a vécu, la ou les cultures dans lesquelles on a baigné, les traditions auxquelles nous avons dû nous soumettre ou nous rebeller, les religions que nous avons pratiquées, les contraintes environnementales et sociales, ... l'environnement socio-culturel dans lequel on a évolué a façonné un certain nombre de conditionnements qui influencent la façon dont on va produire nos représentations. En effet, on ne se représente pas les choses de la même façon selon que l'on vive en Chine, en Australie, en Tunisie, en Angleterre, ou au Groenland.


Exemple : Grossièreté ou politesse ?
Un fou rire fort embarrassant

Février 1988, je suis en Chine avec trois autres élèves ingénieurs participants à un programme de coopération avec l'Institut des Chemins de Fer de Dalian. Quelques jours après notre arrivée, nous sommes invités à un dîner officiel avec le président de l'université et les directeurs de départements. Pendant le repas, un des directeurs rote bruyamment. Nous nous regardons du coin de l'œil, un peu amusés. Quand cela se reproduit alors qu'il est en train de parler avec un de nos camarades, le sourire s'est transformé en fou rire irrépressible. 

Nous apprîmes plus tard que le rot n'était non seulement pas grossier en Chine, mais plutôt perçu comme une marque de politesse, manifestant le contentement que l'on a du repas qui nous est offert. Il n'est en tout cas pas refréné comme il est coutume de le faire en Europe. 

Un comportement de politesse pour les uns perçu comme grossier par les autres ? Nos conditionnements participent indéniablement à la façon dont nous produisons nos représentations.



Qu'ils soient familiaux, sociaux ou culturels, nos conditionnement contribuent à la façon dont nous produisons nos représentations.


Les héritages : 

Dans un autre registre, similaire mais distinct des précédents, il convient de mentionner ce dont on hérite, non pas en termes de vécu ou de conditionnement socio-culturel, mais ce qui nous est transmis de notre environnement de façon informelle, invisible, transgénérationnelle. Des choses, comme par exemple des peurs ou des blessures que nos parents portent, qui nous sont transmises non pas explicitement par la culture, l'éducation, les traditions, les coutumes, ... mais implicitement à travers le comportement de notre entourage, communauté, humanité au sens large, voir génétiquement pour des peurs viscérales comme la peur des serpents et des araignées. 


Nos parents ou nos grands-parents ont vécu (ou hérité) des expériences dont ils portent des traces qui se traduisent par des peurs qui vont conditionner leurs comportements. Nous allons être influencés et imprégnés par ces comportements. Nous allons hériter de certains aspects de ce qu'ils sont, de ce qu'ils portent en lien avec leur vécu ou leurs héritages. Et même si nous n'avons pas vécu leurs expériences, nous héritons de mécanismes de protection qui vont impacter notre PCR. 


Exemple : Héritage de la peur du manque

Je suis d'une génération où mes parents ont vécu pendant la seconde guerre mondiale d'une part, et où mes grands parents ont vécu et ont eu des stigmates de la première d'autre part. Mes arrières grands parents ont fait la première guerre mondiale. Mes ancêtres ont vécu et survécu pendant des périodes très troublées, très difficiles. Pendant les guerres mondiales, les gens ont manqué, ils ont connu des périodes de rationnement, certains ont souffert de la faim. Ces expériences d'insécurité et de manque que mes parents, grands-parents et arrières grands-parents ont vécu sont patentes. Ils l'ont vécu dans leur chair. 

En ce qui me concerne, membre d'une fratrie de 5 enfants, nous avons toujours mangé à notre faim, nous n'avons jamais vécu de situation d'insécurité alimentaire. Et pourtant, je me souviens que quand nous étions enfants, lorsqu'à table nos assiettes étaient toutes servies, nous avions tous de quoi manger, mais la première chose que chacun faisait avant de commencer ce qu'il avait dans son assiette, c'était de picorer ce qui restait dans le plat. Comme si nous allions manquer.


Il y a donc des comportements qui prennent racines dans des peurs (ici la peur de manquer) qui ne correspondent ni à des éléments de réalité de conditionnement, ni à des éléments de réalité d'expériences vécues mais que l'on porte en héritage et qui va donc influencer la façon dont on va se représenter les choses, le monde, nous même.



Ce que nous portons en héritage, aussi bien de notre lignée familiale proche que de nos lointains ancêtres, contribue à la façon dont nous produisons nos représentations.


Les blessures : 

Les expériences douloureuses, parfois traumatisantes, que nous avons vécues ont pu provoquer des blessures qui nous rendent particulièrement sensible à certaines situations. Les situations d'abandon, de rejet, de trahison, d'humiliation auxquelles nous sommes tous sensibles, nous ferons d'autant plus réagir que ces blessures ne sont pas cicatrisées. Tant qu'une blessure que nous portons est sensible, elle va influencer la façon de nous représenter ce que nous vivons. 


Exemple : Sur le terrain ou sur le banc ?

Lors de la constitution d'une équipe, l'entraîneur choisit les joueurs qui vont être sur le terrain et ceux qui vont rester sur le banc de touche. Pierre et Jacques sont tous deux désignés pour être remplaçants. Pierre accueille la décision du coach avec une légère déception, Jacques, quant à lui, le cœur serré, se sent très mal. Le décalage entre les réactions de Pierre et de Jacques provient du fait que Jacques porte une blessure de rejet qui le rend particulièrement sensible à ce genre de situation.



Les blessures que nous portons, ainsi que les mécanismes de protection que nous avons développés pour ne pas en souffrir, contribuent à la façon dont nous produisons nos représentations.


Les peurs : 

Nos émotions en général, et nos peurs en particulier, influencent considérablement la façon que nous avons de nous représenter les choses. C'est ce qui fait que certaines personnes voient plus facilement les risques que les opportunités. Ce n'est ni bien ni mal. C'est d'ailleurs parfois très utile de détecter les risques lorsqu'il y a de réels dangers. C'est contraignant, enfermant, limitant pour rien lorsque les dangers sont fictifs, n'ont pas de réalité objective. Nos peurs peuvent venir de nos conditionnements, de nos souvenirs, de notre expérience, de ce dont on hérite, de nos blessures. Elles vont fortement influencer la façon dont on va interpréter et se représenter les situations.


Exemple : Blessure ou peur d'être blessé ?

Dans l'exemple précédent, Jacques se sent très mal de ne pas avoir été choisi non pas parce qu'il est mis à l'écart, rejeté, exclu (Jacques est très apprécié par ses coéquipiers et son entraîneur tant pour ses qualités physiques et techniques que son esprit d'équipe), mais parce que la situation active chez lui la peur de souffrir du rejet. Il n'y a dans la situation absolument aucun danger, mais Jacques le vit avec la boule au ventre. Lorsque l'entraîneur rassure Jacques sur sa valeur et sa place au sein de l'équipe, la boule au ventre disparaît. Si Jacques se libère de ce qui provoque ces peurs qui l'alertent de dangers qui n'existent pas, la boule au ventre ne se manifestera même pas. 



Les blessures que nous portons, ainsi que les mécanismes de protection que nous avons développé pour ne pas en souffrir, contribuent à la façon dont nous produisons nos représentations.


Parmi toutes nos peurs figurent des peurs innées, des peurs viscérales comme la peur des serpents et des araignées. Ces peurs se déclenchent de manière automatique et déclenchent des réactions réflexes. Elles sont en quelque sorte héritées de nos ancêtres et profondément inscrites en nous. Nos phobies et nos peurs conditionnées opèrent de la même façon, elles nous font réagir en mode réflexe. 


Sous le coup de la peur, nous activons des mécanismes de protection dont celui d'essayer prendre le contrôle, ce qui nous pousse à comprendre et à donner du sens à ce qui nous arrive. Notre besoin de sécurité biaise notre façon d'interpréter et de nous représenter les choses. Cela nous fait parfois voir des choses qui n'existent pas, nous rend d'autres fois aveugle à ce qui est, où encore nous donne l'illusion de savoir des choses dont on est ignorant. 



Exemple : 79% disent "savoir" ce que personne ne sait 

Lors de la pandémie du Sars-cov-2 en 2020, le Parisien a publié les résultats d'un sondage qui appelait les français à se prononcer sur l'efficacité d'un médicament. Seuls 21% ont répondu ne pas savoir. 79% se sont prononcés comme "sachant" à un moment où l'état de la science et de la connaissance ne permettait absolument pas de répondre de façon tranchée à cette question. Au-delà de l'effet Dunning-Kruger (voir chapitre 4), le besoin de sécurité exacerbé par la peur nous pousse à vouloir prendre le contrôle, et par conséquent, à comprendre et à "savoir", même si ce "savoir" est illusoire et ne correspond pas à la réalité.



Les peurs que nous avons, ainsi que les mécanismes que nous avons développés pour nous protéger, contribuent à la façon dont nous produisons nos représentations.


La biologie : 

Bien évidemment, la biologie joue un rôle dans la façon dont nous nous représentons le monde. Un malvoyant ou malentendant ne voit ou n'entend pas la même chose que celui dont les sens fonctionnent de manière optimale. Un daltonien perçoit son environnement en fonction des couleurs qu'il est biologiquement en mesure de détecter et emmagasine les informations sur le monde en conséquence. 



Ainsi, à la question "Quels éléments de réalité participent au processus de création de représentation ?", nous sommes en mesure de proposer la réponse suivante :


Nos souvenirs, nos conditionnements, nos héritages, nos blessures, nos peurs, nos émotions, notre biologie participent au processus de création de nos représentations.


L'impact que le monde a sur nous sont les représentations que nous nous faisons du monde, de nous-même et de l'interaction que nous avons avec notre environnement. Ces représentations sont produites selon un processus dont nous sommes les artisans à partir de ce que nous sommes, ce qui nous constitue et ce que nous portons. 


Intéressons-nous maintenant à l'impact de nos représentations sur le monde. 

Du monde des représentations au monde réel


Que se passe-t-il au contact sensible avec notre environnement ? Nous l'avons vu précédemment, nous créons des représentations. Mais que se passe-t-il après ?  Et bien nous réagissons.  Une odeur de brûlé vient nous chatouiller les narines, nous allons voir dans la cuisine si nous n'avons pas oublié quelque chose sur le feu. Le téléphone sonne, nous décrochons et disons "Hallo" dans la langue que nous parlons. Nous apprenons le décès d'une personne qui nous est chère, des larmes se mettent à couler sur nos joues. 


Nous réagissons aussi aux films intérieurs que nous produisons. Nous pensons à un rendez-vous très important programmé pour le lendemain et notre coeur se met à battre plus fort. Nous nous remémorons la soirée passée la veille avec des amis et nous sourions. Nous nous rappelons la queue de poisson faite par un chauffard deux heures plus tôt et nous nous sentons en colère. 


Ainsi, les représentations que nous produisons provoquent nos réactions. Que celles-ci découlent de stimulations sensorielles (ce qui est perçu à travers nos sens) ou qu'elles soient créées de façon autonome par nos capacités d'abstraction, d'imagination ou de visualisation, nos représentations déclenchent nos réactions physiologiques (accélération du rythme cardiaque, tensions, boule au ventre, salivation, excitation, ..), émotionnelles (joie, peur, tristesse, colère, ...), ou comportementales (fuite, attaque, séduction, soumission, ...). 


Mes représentations provoquent mes réactions émotionnelles, physiologiques, comportementales.


Réalité ou fiction : même conséquence


Le cerveau ne fait pas la distinction entre ce qui est produit à partir de stimuli sensoriels et ce qui est imaginé ou visualisé. Et pour cause, cela passe par le même processus de représentation. C'est la raison pour laquelle on peut avoir l'eau à la bouche à la vue d'un bon repas ... ou dans l'anticipation et la visualisation d'un bon repas. Les réactions physiologiques, ici une augmentation de la salivation, sont les mêmes. 



Ainsi pouvons-nous compléter le schéma de la façon suivante :



Bien-sûr, ce schéma est extrêmement simplifié. Il ne traduit pas toute la complexité des mécanismes biologiques, neurologiques, psychologiques et physiques qui se produisent dans notre organisme. Il n'en est pas moins une représentation fidèle de la réalité des phénomènes qu'il décrit. 


Du monde des représentations au monde réel, que se passe-t-il ? Mes représentations provoquent mes réactions qui elles-mêmes ont un impact sur le monde. 


Mes représentations provoquent mes réactions qui immanquablement impactent le monde.

Ma réalité subjective impacte le réel objectif par les réactions qu'elles provoquent en moi.


Nous avons donc un mécanisme circulaire entre le monde et l'individu, entre monde réel et monde des représentations, entre réalité objective et réalité subjective : 

  1. Au contact du monde, je produis mes représentations.

  2. Mes représentations provoquent mes réactions.

  3. Mes réactions impactent le monde. 

L'ego, une représentation singulière


Parmi toutes les représentations que nous produisons, il en est une qui est particulièrement importante et impactante, celle que nous avons de nous-même et que nous appelons communément l'ego. L'ego est un mot particulièrement chargé, servi un peu à toutes les sauces au carrefour du développement personnel, de la philosophie, de la psychanalyse et de la spiritualité. Je vous en propose une définition simple et pragmatique (ingénieur Arts & Métiers oblige !) : L'ego est la conception et l'image que l'on a de soi-même. C'est une interface d'image entre soi et le monde qui opère comme un filtre plus ou moins transparent et déformant.



L'EGO 



L'ego est une représentation singulière puisque c'est la représentation de soi-même. Dans cette perspective, ce n'est pas quelque chose à contrôler, à réduire, voir à supprimer (ce qui n'a littéralement pas de sens). En revanche, il nous appartient d'en prendre conscience d'une part, et de l'ajuster au réel d'autre part. 


Que se passe-t-il lorsque décalage il y a entre représentation et réalité ? Ça bug ! Et la confrontation au réel est souvent douloureuse, d'autant plus douloureuse que le décalage est grand. 

Que se passe-t-il lorsque la représentation que je me fais du monde et de ma place dans le monde ne coïncide pas avec la réalité du monde et de moi-même en son sein ? Ça bug ! Et cela se traduit par des frustrations, des tensions, des conflits, pouvant même aller jusqu'au troubles relationnels ou psychologiques dont les conséquences dépassent parfois largement le périmètre de l'individu. 


Les drames de l'ego dans l'histoire


Adolf Hitler, Joseph Staline, Pol Pot, Idi Amin Dada, ...  autant de leaders dont on peut dire que l'image qu'ils avaient d'eux-même et du monde a contribué aux drames historiques qui ont marqué l'histoire de l'humanité.


A moindre échelle, mais tout aussi dramatique, on peut citer les gourous de sectes tristement célèbres : Jim Jones (suicide collectif en 1978 - plus de 900 morts), Chizuo Matsumoto (attentat au gaz sarin à Tokyo en 1995 - 13 morts et plus de 6300 blessés), David Koresh (Incendie à Waco après 51 jours de siège - 82 morts). 


Bien sûr, dans ces exemples, la responsabilité n'incombe pas uniquement à ces leaders charismatiques qui ont dramatiquement marqué l'histoire. La responsabilité est partagée du fait même de l'interconnexion et de l'interdépendance des êtres humains entre eux. C'est parce qu'ils ont été crus, encouragés, soutenus qu'ils ont pu avoir de tels impacts. En décrivant dans ce livre quelques mécanismes permettant de comprendre comment de tels drames peuvent arriver, j'espère que cela contribuera un peu à les éviter dans le futur. 

Mes réactions me parlent de moi-même


De la compréhension du fonctionnement de notre processus de création de représentation découle une énorme valeur ajoutée en termes de conscience et de connaissance de soi. En effet, mes réactions sont provoquées, non pas par le monde qui m’entoure, mais par les représentations que je produis à son contact. Pour preuve, un même événement va provoquer deux réactions différentes chez deux individus différents. Une pluie d’été réjouit les agriculteurs qui voient leurs champs arrosés gratuitement et désole les touristes qui ne vont pas pouvoir aller bronzer sur la plage. C’est la même pluie, ce sont les mêmes gouttes d’eau, mais la réaction diffère.



Mes représentations m’appartenant pleinement, mes réactions aussi. Par conséquent, mes réactions me parlent de moi-même. Comment ? 



De façon directe, puisqu'elles sont provoquées par mes représentations, elles me parlent de la façon dont je me représente les choses. 


Mes réactions me parlent de moi-même. Elles me donnent des indices sur la façon dont je me représente les choses.


Et de façon indirecte, puisque mes représentations sont produites par un processus déterminé par ce que je suis, elles me parlent de moi-même (ce qui me constitue, ce qui m'a construit, ce que je porte).


Mes réactions me parlent de moi-même. Elles me donnent des indices sur la façon dont je construis mes représentations.



Aux questions "Qui suis-je ?" et "Que suis-je ?", nous avons des pistes vers des réponses qui s'appuient sur des éléments de réalité objective : nos réactions !


Qui suis-je ?

Par l'observation, la prise de conscience, la mise en lumière des représentations que j'ai de moi-même, recoupée avec les réactions et comportements que je manifeste, je vais accéder à des réponses qui s'ancrent dans le réel objectif. 


Que suis-je ?

Par l'observation de mes réactions et comportements, j'accède à des indices me permettant de mettre en lumière ce qui participe à la production de mes représentations. Je peux ainsi mettre en lumière des éléments de réalité de ce que je suis, ce qui me constitue, ce que je porte, ce qui m'a construit. 



Mes réactions me parlent de moi-même. J'accède à la réalité de ce que je suis à travers la réalité de ce que je vis et de comment je le vis.




Il convient de noter que ces réponses ne sont bien évidemment pas gravées dans le marbre. Nous sommes en perpétuel changement, en constante évolution. Ce que nous sommes aujourd'hui diffère de ce que nous étions hier. Même si certaines caractéristiques ne changent pas dans le temps (nous serons éternellement les enfants de nos parents), nous changeons la façon de les vivre. Ainsi, les réponses à ces questions appartiennent fondamentalement à l'instant présent. 


Pour conclure ce chapitre, récapitulons quelques constats exposés précédemment. 


  1. Je suis en lien avec le monde objectif à travers les représentations subjectives que je m'en fais, et j'interagis avec mon environnement à partir des représentations que je me fais. 

  2. Mes représentations relèvent de la réalité subjective et ne sont pas le réel objectif qu'elles représentent. La carte n'est pas le territoire. 

  3. Plus le décalage entre mes représentations et la réalité est grand, plus la confrontation de mes représentations au réel est douloureuse, d'autant plus douloureuse que je suis attaché à mes illusions.


Il convient donc de veiller à ce que les représentations que je produis correspondent au plus près à la réalité de ce qu'elles représentent. Que ce soit le monde qui m'entoure (mon environnement physique ou social, les personnes qui m'entourent, les relations que j'entretiens avec elles, ...) ou moi-même, il m'appartient de m'assurer que représentations et réalité coïncident. 


Comment ? C'est ce que nous allons voir dans les prochains chapitres : Comment se connecter au réel ?

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