Chapitre 2 : Réel réalité - de quoi parle-t-on ?
Avant d'aller plus loin, il convient de clarifier quelques notions fondamentales en lien avec le "réel", notions qui se trouvent au cœur de ce qui est traité dans ce livre.
Qu'est-ce que le réel ? De quoi parle-t-on lorsqu'on parle de réel ? Quelles différences entre le réel et la réalité ? Entre ce qui est réel et ce qui est vrai ?
Dans de nombreux débats (pour ne pas dire tous les débats), chaque parti se prévaut d'arguments portants sur le réel, la réalité, la vérité. Chacun, de son point de vue, a raison, dit le vrai. Chacun est persuadé de parler, selon lui, du réel réellement réel, ou véritablement réel, ou vraiment vrai (je vous laisse faire toutes les combinaisons possibles).
Autrement dit, chacun est convaincu de voir les choses telles qu'elles sont et pointe du doigt les autres et leurs perceptions, interprétations, représentations erronées. Il y a là un paradoxe qui fait dire à chaque protagoniste que l'autre est un menteur.
Et pourtant, le chiffre 6 vu à l'envers se lit 9. Ainsi, deux personnes se faisant face avec le chiffre 6 au milieu peuvent débattre longtemps, et parfois même en arriver à se battre, arguant pour l'un qu'il s'agit du 6 et l'autre du 9. Dans cet exemple trivial, il est clair que les deux ont raison et disent vrai. La réalité objective est une inscription sur le sol qui, vue d'un côté se lit 6, et de l'autre côté 9.
Réel, réalité, vrai, vérité sont des mots qui font partie du langage courant, dont on fait usage, sinon chaque jour, très souvent. Mais quels sens donnons-nous à ces mots ? Pour que nous parlions de la même chose, commençons par les définir et ainsi préciser le sens qui leur sera attribué dans ce livre.
Quelques définitions
La lecture de ce chapitre peut se révéler être pour certains lecteurs un peu fastidieuse. Vous pouvez en faire une lecture accélérée en ne lisant que les encadrés qui synthétisent et donnent les notions clés nécessaires à comprendre pour avoir une lecture facile et fluide des chapitres suivants.
Pour établir les définitions des mots qui vont être ici fréquemment utilisés, j'ai eu recours au Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, à wikipédia, à la plateforme reverso.net et au Larousse en ligne.
Commençons par ce qui est au coeur du coeur du sujet de ce livre, le réel !
RÉEL : définition
Définition du nom :
Réel - nom masculin : Ce qui existe effectivement, factuellement, indépendamment du sujet. S'oppose à imaginaire.
Synonymes : univers, concret, fait, réalité, authenticité, tangibilité, exactitude, vrai.
Antonymes : fiction, imagination, illusion, hallucination, rêve, songe, utopie, apparence, mensonge, faux.
Définition de l'adjectif :
Réel - adjectif : Qui existe d'une manière effective et autonome, qui n'est pas un produit de la pensée, qui est dégagé de la subjectivité du sujet.
Synonymes : existant, effectif, tangible, patent, factuel, concret, physique, matériel, palpable, visible, véritable.
Antonymes : irréel, fictif, imaginaire, virtuel, illusoire, hallucinatoire, faux.
Vrai ou réel ?
Nous pouvons voir que les mots vrai et faux figurent dans la liste des synonymes et antonymes du mot réel. Il convient de préciser la différence qu'il y a entre réel et vrai, réalité et vérité. Commençons par définir les mots vrai et vérité.
VRAI - VÉRITÉ : définition
VRAI : Définition
Vrai - adjectif : Se dit d'une affirmation conforme à la vérité, à la réalité. Que l'on juge conforme à ce qui existe ou a existé.
Synonymes : juste, exact, authentique, véridique, réel, véritable, conforme.
Antonymes : faux, inexact, mensonger, imaginaire.
VÉRITÉ : Définition
Vérité - nom féminin : Connaissance ou expression d'une connaissance conforme à ce qui existe ou a existé réellement. Affirmation conforme aux faits tels qu'ils se sont déroulés.
Ainsi, qualifier un énoncé de vrai suppose la conformité de cet énoncé avec la réalité qu'il décrit.
Synonymes : exactitude, justesse, authenticité, véracité, véridicité, vrai.
Antonymes : mensonge, fausseté, erreur, fiction, illusion, boniment.
Ainsi, on parle de vérité lorsqu'il y a correspondance entre une proposition et la réalité à laquelle cette proposition réfère. Par exemple, si je dis "Il pleut dehors" et qu'effectivement il pleut dehors, la proposition "il pleut dehors" peut être qualifiée de vraie. On dira que c'est une vérité. Bien sûr, cette vérité est dépendante du contexte, le lieu et le moment où celle-ci est énoncée. La même proposition faite le lendemain avec une météo plus clémente, à savoir ensoleillée, sera bien évidemment fausse.
Une image vaut mille mots, explicitons la différence à l'aide d'une illustration.
Dans ce que représente le schéma ci-dessus, qu'est ce qui est réel ?
Le cylindre en tant qu'objet, l'ombre portée en forme de carré sur le mur parallèle à l'axe du cylindre et l'ombre portée en forme de rond sur le mur perpendiculaire à l'axe du cylindre.
Un observateur positionné dans l'axe du cylindre dira en voyant l'objet qu'il est rond et celui positionné perpendiculairement au cylindre dira que l'objet est carré. Tous deux disent la vérité. La proposition de chacun est vrai, c'est-à-dire qu'elle rend compte effectivement de ce qui est, le cylindre, vu du point de vue où ils se trouvent. Si l'un ou l'autre avait dit triangle ou étoile, ce serait faux. Mais en disant respectivement rond et carré, tous deux disent la vérité.
Le réel
De quoi parle-t-on lorsqu'on parle du réel dans ce livre ? Nous considérerons comme "le réel" tout ce qui existe en soi, aussi bien les objets matériels ou biologiques que les processus ou les phénomènes.
Par exemple, la planète Terre fait partie du réel. Les atomes, les processus physiques, chimiques, électromagnétiques font partie du réel. Les être humains, tout ce qui vit, les processus biologiques, neurologiques, psychiques font partie du réel. Tout cela a une existence en soi.
Autrement dit, tout ce qui existe aussi bien en tant qu'objet, processus ou phénomène au sens large, est ce que l'on désignera comme étant "le réel".
J'attire ici votre attention sur la distinction qu'il convient de faire entre un phénomène et le sens ou l'explication d'un phénomène. J'entends par phénomène ce qui se produit effectivement de façon tangible et perceptible. Par exemple, les phénomènes OVNI ou crop circles sont ce que l'on observe dans le ciel et dans les champs de céréales. On peut parler d'observations objectives. En revanche, l'explication du phénomène (comment et les raisons pour lesquelles il est survenu) ne relève pas du réel mais de l'interprétation subjective que chacun peut faire du phénomène.
RÉALITÉ : définition
Le mot réalité est un peu plus complexe à définir car plus polysémique que le mot réel. On parle de réalité physique, virtuelle, augmentée, psychique, extérieure, ...
En voici tout d'abord une définition simple que nous allons, dans un deuxième temps, expliciter davantage:
Définition du nom :
Réalité - nom féminin : Caractère de ce qui est réel, de ce qui existe effectivement (et n'est pas seulement une apparence).
Synonymes : réel, concret, fait, évidence, existence, tangibilité, matérialité.
Antonymes : fiction, illusion, imagination, hallucination, rêve, songe, fantasme, apparence.
L'existence du système solaire est une réalité. Il n'est pas le fruit de l'imagination. D'ailleurs, la capacité d'imagination des êtres humains est aussi une réalité. Cette capacité n'est pas imaginée, elle existe effectivement. En revanche, ce que l'être humain imagine n'a pas d'existence matérielle. Ce que nous imaginons n'existe qu'en tant que fiction produite par notre imagination. C'est une image abstraite, une représentation fictive et subjective, qui n'a pas de réalité objective.
Au même titre que le plan d'une ville a une existence réelle objective en tant que plan, est une réalité en tant que plan, les représentations que nous nous faisons du monde sont une réalité en tant que représentations.
Nos représentations mentales nous parlent éventuellement de quelque chose de réel, mais elles n'en restent pas moins des représentations qui ne sont pas réelles. Elles ont une réalité en tant que représentations, elles ont une existence en tant que réalité subjective, mais ne sont pas une réalité objective. A l'instar de la pipe du tableau de Magritte "La trahison des images", le tableau représente une pipe mais n'est pas une pipe (c'est d'ailleurs ce que l'artiste a inscrit sur son tableau). Le tableau existe en tant que tableau. Sa réalité objective est que c'est un tableau, pas une pipe.
Ce que représente le tableau est une pipe. C'est là aussi une réalité en soi. Mais à aucun moment il ne viendrait à l'idée de quelqu'un d'essayer de fumer du tabac avec ce tableau. Le tableau représente une pipe ... mais n'est pas une pipe. La représentation que nous nous faisons d'un objet n'est pas l'objet. Les représentations que nous nous faisons du monde réel ne sont pas réelles.
Prenons un autre exemple. Si Paul imagine une licorne rose, le fait que Paul imagine et visualise une licorne rose est en soi une réalité en tant que phénomène ou comportement. En revanche, la licorne rose imaginée par Paul n'est pas réelle. C'est une fiction, une représentation mentale qui n'a pas de réalité en tant qu'objet, en tant que licorne. Dès que Paul cesse de visualiser ou de croire en la licorne, elle disparaît, elle n'a plus d'existence. Elle n'a d'existence qu'à travers la capacité d'imagination et d'abstraction de Paul. Elle est une réalité subjective, celle de Paul. Tant et aussi longtemps que Paul imaginera une licorne rose, elle existera en tant que représentation au sein de la réalité subjective de Paul. Si Paul entreprend de peindre un tableau représentant une licorne rose, le tableau sera en soit bien réel, objectivement réel. Cela n'en confèrera pas pour autant une réalité matérielle à la licorne rose.
Pour reprendre l'exemple du tableau de Magritte, la représentation d'une pipe existera tant que le tableau existera même si toutes les pipes disparaissaient de la surface de la terre. Même si toutes les pipes venaient à disparaître de l'univers tout entier, le tableau continuera d'exister en tant qu'objet représentant une pipe qui, dans cette hypothèse, n'existerait plus en tant qu'objet "pipe". On pourrait alors qualifier cette œuvre d'art abstrait.
Ainsi mettons-nous en évidence ici l'existence de deux réalités, l'une attachée à l'objet et que nous appelons réalité objective, l'autre attachée au sujet dite réalité subjective. Nous verrons ultérieurement plus en détail les différentes formes que prend la notion de réalité. Il convient maintenant de préciser ce que l'on entend par "représentation".
REPRÉSENTATION : définition
Représentation désigne étymologiquement « l'action de replacer devant les yeux de quelqu'un » (cnrtl.fr). Le mot est polysémique (image, figure, symbole, signe, action de représenter par le moyen de l'art, du langage, activité de quelqu'un qui représente une personne, une collectivité, une société, ...). Nous n'expliciterons ci-dessous que le sens qui lui est donné dans cet ouvrage, et qui se trouve au carrefour des points de vue de la psychologie cognitive et sociale, des neurosciences et de la philosophie.
Définition du nom :
Représentation - nom féminin : Construction dans le cerveau d'un sujet de ce qui est perçu (chose, phénomène, événement, comportement, ...), ressenti (sensoriellement, émotionnellement, énergétiquement ...) ou pensé (imaginé, interprété, conceptualisé, ...).
Synonymes : perception, description, transcription, compréhension, interprétation, supposition, modélisation, projection, image, vision, impression.
Antonymes : je ne trouve pas d'antonyme dans le cadre de cette définition.
Ainsi engloberons-nous sous le vocable "représentation" tout ce que nous produisons mentalement et neurologiquement, aussi bien à partir de stimuli sensoriels (qualifié de qualia en philosophie) que de nos capacités cognitives de création de sens et d'abstractions.
Au même titre que le tableau de Magritte représentant une pipe n'est pas une pipe, la représentation que nous nous faisons d'une chose n'est pas la chose elle-même. Autrement dit, la carte n'est pas le territoire. Le plan d'une ville n'est pas la ville qu'elle cartographie. Cela paraît évident dit comme cela. Mais dans notre façon de fonctionner, du fait même de notre mode de fonctionnement, nous faisons souvent la confusion. En effet, nous n'accédons au réel qu'à travers les représentations que nous nous en faisons. Nos représentations sont "notre réalité".
Nos représentations sont notre réalité subjective.
Postulat sur le réel
Pour être tout à fait rigoureux dans ma démarche, et suite aux nombreuses recherches que j'ai faites sur le réel, il convient de poser un postulat pour trancher, le temps de la lecture de ce livre, un débat qui existe depuis des millénaires, peut-être même depuis qu'homo sapiens existe, celui de l'existence et du statut du réel.
Le but de ce livre n'étant ni purement philosophique, ni rigoureusement scientifique mais pratico-pratique, je propose un postulat, c'est-à-dire de présenter un énoncé comme vrai sans avoir la possibilité de le démontrer.
Puisque nous avons vu que le réel existe en soi, cela implique aussi qu'il existe en dehors de soi, en dehors de moi, indépendamment de la capacité sensible de le contacter ou intelligible de le qualifier, le décrire, le représenter. Ce qui m'amène à proposer l'énoncé suivant comme postulat sur le réel :
Vous pouvez bien-sûr ne pas être d'accord avec cet énoncé, avec des arguments plus ou moins solides, voire très solides. En effet, au niveau des particules, dont la physique quantique décrit et prédit les phénomènes avec une précision vertigineuse, le principe d'indétermination ne permet pas de dire que les choses existent de façon absolument certaine et déterminée comme on peut le faire avec les objets classiques comme une voiture, un frigo ou un stylo. Albert Einstein et Neils Bohr en ont débattu pendant des dizaines d'années (je vous recommande à ce sujet l'écoute de la passionnante conférence d'Etienne Klein qu'il donna en 2013 à La Sorbonne sur Le débat quantique Albert Einstein vs Niels Bohr).
Sachez que c'est sur la base de ce postulat que tout le livre est construit car je ne parle que de phénomènes à notre échelle d'existence qui ne relèvent par conséquent que de la physique dite classique. Un autre ouvrage actuellement en cours de gestation prendra en compte la notion de non-séparabilité appelée intrication dans le formalisme de la physique quantique et qui a été incontestablement mis en évidence pour la première fois par Alain Aspect en 1981.
Par ailleurs, autre exemple d'objection à ce postulat, si vous croyez que nous sommes le produit d'une simulation informatique, je ne peux pas vous prouver le contraire de la même façon que je ne peux pas prouver mon affirmation. En revanche, je peux souligner que, dans l'hypothèse que ce que nous vivons est le produit d'une réalité virtuelle issue d'un programme informatique, cela reporte juste d'un cran la question du réel au niveau des machines, support matériel physiquement réel, qui hébergent la simulation virtuelle de notre existence.
Le postulat que je propose est simple. Je ne vais pas rentrer dans le détail des nombreux arguments qui tendent à le valider mais je vous demande d'y souscrire le temps de la lecture de ce livre pour que vous en saisissiez pleinement toute la démarche.
Un réel, quatre niveaux de réel objectif
Partant du principe que le réel existe, essayons d'en délimiter les contours.
Réel observable et inaccessible
Considérons l'univers, à savoir l'ensemble de tout ce qui existe, la totalité des êtres et des choses. Nous pouvons dans un premier temps distinguer ce qui, dans l'univers, est observable de ce qui est hors de portée de nos capacités, avec ou sans instruments, d'observation, et que je qualifie dans le schéma ci-dessous de réel inaccessible. La frontière entre les deux se déplace bien évidemment au cours du temps au rythme de l'évolution non seulement de nos moyens techniques d'observation, mais aussi des théories et des modèles physiques et mathématiques que nous développons pour nous représenter le réel et en décrire les phénomènes.
A titre d'exemple, les ondes gravitationnelles ont été prédites en 1916 à partir de la théorie de la relativité générale par Albert Einstein, mais découvertes, c'est à dire effectivement mises en évidence par l'observation, en 2016, soit un siècle plus tard. Il s'agit là d'un élément de réalité de l'univers dont nous étions totalement ignorant avant 1916 (réel inaccessible), dont les modèles de représentation nous ont permis de prédire l'existence et dont nous n'avons pu effectivement observer l'existence qu'en 2016. La grande frontière entre réel inaccessible et univers observable a donc bougé le jour de cette découverte.
Il en est de même pour le boson de Highs prédit en 1964 et découvert au LHC en 2012.
Ainsi, la taille de l'univers observable n'est pas la même aujourd'hui qu'il y a mille ans, cent ans, dix ans , ou même un an. Nous repoussons encore et toujours plus loin l'horizon, aussi bien vers l'infiniment grand que l'infiniment petit.
Réel inconnu, hypothétique, connu
Au sein de l'univers observable, nous pouvons intuitivement distinguer deux réels, le connu et l'inconnu. La frontière entre les deux est plus difficile à définir que celle qui délimite le réel observable du réel inaccessible. On peut même dire que c'est plus qu'une frontière et qu'il s'agit d'une zone tampon à géométrie variable allant même au-delà des frontières de l'univers observable, et dont les variations se font au rythme de la validation ou invalidation des hypothèses avancées pour décrire le réel. J'ai nommé cette zone le "réel hypothétique". Je sais, c'est un oxymore, c'est à dire une association de deux mots contradictoires. C'est pourtant bien de cela dont il s'agit, à savoir toutes les hypothèses que nous faisons sur le réel sans avoir pu formellement vérifier leur validité.
NB: cet oxymore s'explique car nous mélangeons dans la description proposée ici réel objectif et réalités subjectives (voir § "Réalité, définitions) .
Croyance ou connaissance ?
Autrefois, les prêtres, les sorciers, druides ou autres chamanes étaient les détenteurs officiels des connaissances de leurs époques, connaissances dont la plupart sont de nos jours qualifiées de croyances. Mais au fait, qu'est ce qui différencie une croyance d'une connaissance ?
On peut comparer une carotte et un navet d'un point de vue agricole mais pas une carotte et une brosse à dents. Il convient donc avant tout de souligner ce qui les relie et constitue fondamentalement un élément de similitude qui fait qu'on peut effectivement les comparer et les différencier.
Croyances et connaissances n'existent que dans la mesure où un sujet les produit, toutes deux relèvent de la réalité subjective, appartiennent au monde des représentations.
Dans le cadre de cet ouvrage, on entend par connaissances les représentations subjectives qui rendent effectivement compte de ce que sont les choses ou les phénomènes dans leur réalité objective. Ainsi, une connaissance sera considérée comme telle s'il y a concordance entre la représentation et l'objet qu'elle représente, entre la carte et le territoire. Aujourd'hui, c'est communément la science et la démarche scientifique qui permet de dire avec une assurance relativement élevée si une chose est connue, hypothétiquement connue, ou inconnue. Vous trouverez un peu plus loin un exemple qui illustre la différence de ces trois statuts et comment on passe de l'un à l'autre.
Une croyance, pour faire simple, est une représentation considérée comme vraie (voir § "Vrai ou réel ?" page x) sans avoir vérifié que celle-ci rend effectivement bien compte du réel. Autrement dit, une croyance est une représentation (une carte) que l'on se fait d'objets ou de phénomènes sans avoir (ou parfois vouloir) vérifié qu'elle rend fidèlement compte du réel (le territoire). Ainsi, les croyances sont souvent des certitudes sans preuve.
Illustration par Neptune
Pour illustrer comment l'on passe d'un statut du réel à l'autre, voici très résumée l'histoire de la découverte de la planète Neptune dont la particularité est que son existence et sa position furent prédites par le calcul.
La découverte de Neptune et comment elle est passée du réel inaccessible au réel connu :
Acte 1 : Neptune (sans savoir qu'il s'agit de Neptune puisque pas encore découverte) est remarquée en 1612 par Galilée mais la considère comme une étoile. Neptune fait alors son entrée dans l'univers observable dans la partie "réel inconnu".
Acte 2 : A partir de 1788, on constate une anomalie entre l'orbite théorique, c'est-à-dire l'orbite calculée selon le modèle de Newton, et l'orbite observée d'Uranus. Plusieurs hypothèses sont envisagées pour expliquer ce phénomène dont l'existence d'une planète jusqu'alors inconnue.
Acte 3 : L'astronome et mathématicien Urbain Le Verrier détermine par le calcul l'endroit où devrait se situer cette planète inconnue. Neptune fait son entrée dans la zone tampon dite "réel hypothétique".
Acte 4 : Johann Gotfried pointe son télescope le 23 septembre 1846 dans la direction indiquée par son ami Le Verrier, et bingo, on découvre la planète Neptune ! Neptune fait son entrée dans la partie "réel connu".
Ainsi, Neptune faisait partie du réel inaccessible jusqu'à ce que Galilée la voit en 1612, la faisant ainsi passer dans le réel inconnu de l'univers observable (l'hypothèse faite à ce moment là -- "c'est une étoile" -- s'est avérée inexacte). Neptune passe ensuite dans une zone tampon par la prédiction de son existence avant même de l'avoir observée formellement (le lien avec ce qui avait précédemment observé n'ayant pas été fait). Elle fait alors partie du réel hypothétique. Puis en 1846, grâces aux prédictions de Urbain Le Verrier et à l'observation de Johann Gotfried, Neptune fait son entrée dans le périmètre du réel connu.
Les exemples sont légions dans l'histoire de la science : les ondes gravitationnnelles citées précédemment, le boson de Higgs, le neutrino, ....
La démarche scientifique
Comment un scientifique sait ce qu'il sait et comment peut-il affirmer que cela relève du connu et non pas de l'hypothétique ? De la connaissance et non pas de la croyance ?
Avant tout en restant toujours conscient que sa connaissance du réel parle du réel mais n'est pas le réel (vous vous souvenez ? La carte et le territoire, le tableau de Magritte, ... cf § "Quelques définitions"), et par conséquent, en confrontant ses propres représentations subjectives à la réalité objective. C'est ce que font les scientifiques dans l'étape d'expérimentation de la démarche scientifique. C'est ce qui fait que les connaissances scientifiques ne sont pas l'équivalent des croyances.
Qu'est ce que la démarche scientifique ?
La démarche scientifique est la méthode utilisée par les scientifiques pour élaborer des modèles descriptifs, explicatifs et prédictifs du monde qui nous entoure et des phénomènes qu'on y observe. Elle se décompose en plusieurs étapes :
Observation d'un phénomène.
Formulation d'une problématique.
Émission d'hypothèses.
Expérimentation des hypothèses qui sont infirmées ou confirmées.
Formulation de nouvelles hypothèses si elles sont infirmées.
Construction de modèle ou de théorie si elles sont confirmées.
Cette démarche se décline en différentes méthodes selon le domaine de recherche (sciences physiques, biologie, sciences humaines, ...) et recourt plus ou moins aux mathématiques pour construire les modèles. En sciences physiques, le formalisme mathématique est très présent dans l'élaboration des théories. C'est très différent en sciences humaines où les statistiques sont de précieux outils de mesure mais pas de construction de modèles.
Ainsi, une hypothèse devient valide si elle résiste aux observations et aux expérimentations. Et plus elle résiste dans le temps, plus l'hypothèse et le modèle qui en découle sont solides ... jusqu'à preuve du contraire. Il suffit parfois d'une seule observation qui infirme l'hypothèse pour que celle-ci soit remise en question, adaptée, voir abandonnée. C'est ce qui s'est passé avec l'anomalie du périhélie de Mercure.
43 secondes qui font la révolution : l'histoire du périhélie de Mercure
43 secondes, c'est le temps qui s'est écoulé entre le largage de la bombe atomique sur Hiroshima et son explosion. C'est aussi le décalage angulaire par siècle de la position du périhélie de Mercure - le point de sa trajectoire situé au plus proche du soleil - entre sa position observée et sa position calculée selon les équations de Newton. Pour vous faire une idée, 43 secondes d'arc correspond à l'angle de l'épaisseur d'un cheveu positionné à un mètre de vos yeux. C'est très très petit, mais ce n'est pas nul, ce qui témoigne d'une anomalie. La méthode scientifique impose donc d'expliquer l'anomalie ou bien de modifier le modèle ou encore de le rejeter.
Les équations de la mécanique classique de Newton fonctionnent remarquablement bien pour les autres planètes du système solaire. Elles ont d'ailleurs permis de prédire la position de Neptune (voir page XXX) avant même de l'avoir observée du fait de l'anomalie constatée dans la trajectoire d'Uranus. On a bien essayé la même recette pour Mercure, allant même jusqu'à nommer Vulcain la planète qui aurait permis de rétablir l'accord entre théorie et mesure. Mais rien à faire, ce qui n'existe pas n'existe pas.
C'est une révolution complète de modèle avec la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein qui à permis de résoudre l'anomalie. Ce n'est pas un ajustement des équations mais un changement complet de paradigme. En relativité générale, la trajectoire des planètes ne dépend pas des forces d'attraction qui agissent les unes sur les autres comme le propose la théorie de Newton, mais de la déformation de l'espace-temps induite par la présence d'objets massifs.
Ainsi, l'anomalie des 43 secondes d'arc de décalage par siècle entre la position du périhélie de Mercure mesurée et calculée n'a pas été résolue par une solution ontologique, la mise en évidence de l'existence d'un objet, mais par une solution législative, une nouvelle loi avec laquelle prédictions et observations concordent parfaitement.
Synthèse : les 4 niveaux du réel
En résumé, nous considérerons comme connu ce que l'on peut observer et dont les modèles de représentation ont été validés suite à la confrontation au réel à travers l'expérimentation.
(Par exemple : la théorie de la relativité, la mécanique quantique, la théorie de l'évolution, ...)
Sera qualifié d'hypothétique le réel, observable ou non, faisant l'objet de modèles n'ayant pas été validés par des résultats probants issus d'une expérience (Le Big Bang, la théorie des cordes, ...).
Et enfin, sera qualifié de réel inconnu ce que l'on peut observer et dont on ne dispose pas de modèle de représentation.
Les proportions de surface de la figure 3 ne sont pas vraiment représentatives des tailles relatives des une par rapport aux autres. Le réel inaccessible est potentiellement de taille infinie, le réel connu est minuscule par rapport à l'inconnu, et l'hypothétique, compte tenu des incommensurables capacités d'imagination de l'être humain, peut même être beaucoup plus grand que le réel inconnu pour monsieur ou madame "je sais tout et j'ai une explication sur tout". Voici un schéma, "une carte", qui reflète selon moi davantage la réalité du "territoire".
Maintenant que nous sommes clair sur la notion de réel, qu'en est-il de la réalité ?
Un réel, trois réalités
Nous avons précédemment mis en évidence (voir § Réalité : définition page XX) l'existence de deux réalités, l'une attachée à l'objet et que nous appelons réalité objective, l'autre attachée au sujet dite réalité subjective. Il convient d'en expliciter une troisième dont l'impact sur notre vie est considérable : la réalité intersubjective.
Lorsqu'un individu croit en quelque chose qui n'a pas d'existence tangible, objective, cette chose existe malgré tout pour cet individu. Elle fait partie de sa réalité subjective et va conditionner son interprétation du monde, ses réactions, ses interactions avec son environnement, bref, sa vie.
Par exemple, croire au père fouettard, au croquemitaine ou au père Noël aura tendance à nous faire privilégier les comportements qui auront, selon nos croyances, pour effet d'obtenir les faveurs des uns et d'éviter les tourments des autres ... alors qu'aucun de ces trois personnages fictifs n'existe objectivement. J'espère ne décevoir personne en faisant cette révélation. Vous noterez que je suis soft dans le choix de mes exemples. J'aurais pu en choisir des plus polémiques, mais je vous laisse le soin de compléter la liste selon vos propres expériences.
Lorsque plusieurs individus croient en la même chose, cela devient une réalité intersubjective. Et aussi étrange que cela puisse paraître, c'est cette réalité qui a le plus d'impact dans nos vies au quotidien. C'est parce que nous partageons les mêmes croyances que nous sommes en mesure de fonctionner ensemble en société. Que ferions nous sans le code de la route, les lois, la monnaie qui nous permet de faire du commerce, les règles du jeux de nos sports favoris, ... ?
Prenons l'exemple du football qui s'appelle ainsi car c'est un sport qui se joue principalement avec les pieds (foot signifie pied en anglais). C'est parce que tous les joueurs acceptent les règles du jeu qu'ils peuvent jouer ensemble. Si quelqu'un refuse la règle qui interdit de toucher le ballon avec les mains, il devra s'orienter vers le handball, le basket ou le rugby. Il ne pourra pas jouer au football (sauf s'il joue au poste de gardien de but bien-sûr). Au basket, c'est le contraire. Il est interdit de jouer avec les pieds. Au rugby, on a le droit de toucher le ballon avec les pieds et avec les mains mais quand c'est avec les mains, il est interdit de passer la balle vers l'avant. Chaque sport a ses spécificités, ses règles, qui n'ont d'existence que dans la réalité subjective des individus, et qui de fait devient une réalité intersubjective . Le football n'existe pas en soi dans l'univers. Il n'existe que dans le monde des représentations, et c'est parce que celles liées aux football, en l'occurrence ses règles du jeu, sont partagées par tous les joueurs qu'ils peuvent jouer ensemble sur un terrain qui lui-même a été construit selon ces mêmes règles.
Quand nous célébrons la nation, le travail, un saint ou un mariage, nous célébrons quelque chose qui n'a d'existence que dans la réalité intersubjective. Même s'il existe des artefacts qui ont une réalité objective comme un drapeau, des frontières, des passeports, des tableaux ou des livres d'histoire, les nations n'ont d'existence que dans la tête des êtres humains.
Ainsi, le réel tel que défini dans ce livre se décline en trois réalités :
Nous avons postulé l'existence du réel en dehors de soi, le sujet. Mais soi, qu'est-ce que c'est ? De quoi parle-t-on lorsqu'on parle du "soi" ? Vous allez me répondre que cela va de soi, parler de soi, c'est parler de moi, de toi, de nous. Mais c'est quoi "moi", "toi", "nous" ? Autrement dit, qui sommes-nous ? Ou plus précisément, que sommes-nous ?
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